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VU D'ISRAEL

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Histoire et Prospective


BIBERMAN, A DROITE TOUTE !

Publié par Frédérique Schillo sur 29 Octobre 2012, 14:58pm

Catégories : #Articles

BIBERMAN, A DROITE TOUTE !

L’annonce du ticket Bibi-Lieberman pour les élections du 22 janvier 2013 a fait l’effet d’une bombe. Le Premier ministre Benjamin (« Bibi ») Netanyahou et son ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman avaient bien gardé le secret. Impossible de capter le réseau téléphonique depuis la salle du Dan Panorama où ils avaient convié la presse ce jeudi 25 octobre. La conférence terminée, les journalistes ont dû quitter les sous-sols de l’hôtel pour informer leurs rédactions sur cette manipulation dans les arcanes du pouvoir. En quelques SMS et autres tweets, l’alliance a été renommée « Biberman ».

Leur liste politique commune, elle, s’appellera Likoud Beitenou, un condensé entre le Likoud, le parti conservateur de Netanyahou, et les ultranationalistes d’Israël Beitenou (« Israël notre maison »), le parti de Lieberman. Voici donc la naissance d’une vaste coalition de la droite à l’extrême-droite, qui laisserait l’opposition exsangue.

L’union de la carpe et du koubé

Sur le papier, la victoire de Biberman serait en effet acquise. A eux deux, ils avaient déjà totalisé 42 sièges aux dernières élections de 2009 (27 pour le Likoud, 15 pour Israël Beitenou). Les sondages leur prédisaient ce jeudi de 40 à 50 sièges sur les 120 que compte la Knesset. Sans ajouter tous les petits partis qui les rejoindront nécessairement pour former un gouvernement.

L’élection du Premier ministre, qui se joue en même temps, devrait donc voir la reconduction de Netanyahou, sur lequel se porteraient l’électorat du Likoud, traditionnellement sépharade, et celui d’Israël Beitenou, formé en majorité de Russes. En somme, ce serait une belle photo de famille de la société israélienne. Politiquement, elle ressemble pourtant au mariage de la carpe et du lapin ; ou dans la cuisine israélienne, de la carpe et du koubé (le plat typique des Juifs orientaux).

Car si les deux partis ont la même ligne dure en politique étrangère, leur divergence sur le plan intérieur est flagrante. Autant le Likoud est conservateur et traditionaliste, autant Israël Beitenou est libéral et laïc. Le parti de Lieberman s’est même souvent opposé aux religieux du parti Shas, l’allié historique du Likoud, en demandant la fin de l’exemption militaire pour les ultra-orthodoxes ou l’introduction du mariage civil afin de casser le monopole du rabbinat.

Il n’est pas sûr que les électeurs de Netanyahou voient d’un bon œil l’arrivée de ces laïcards, élevés sans grande culture religieuse et dont les pratiques alimentaires choquent toujours en Israël. Un militant du Likoud a déjà envoyé un SMS rageur, rapporte Ynet, en dénonçant une union contre-nature avec « un parti de viande blanche » (une insulte pour parler des consommateurs de porc).

C’est oublier que le sionisme révisionniste, dont se réclame le Likoud, était une formation laïque au commencement de l’État d’Israël. Hillel Kook prônait ainsi la séparation de la religion et de l’État. Éri, le fils de Vladimir Jabotinsky – le maître à penser de Netanyahou – avait même demandé que la cafétéria de la Knesset serve des plats non-casher. Les temps ont bien changé. Aujourd’hui, il ne viendrait à l’esprit de personne au Likoud de remettre en cause l’idée d’Israël comme « État démocratique et juif ».

Pris de court, les membres du Likoud s’inquiètent aussi d’un virage à l’extrême-droite. Certes, Lieberman ne leur est pas étranger. Il fut même l’un des leurs en étant l’assistant de Netanyahou à partir de 1988, puis le directeur général du Likoud dans les années 1990.

Mais l’homme s’est radicalisé. Toujours plus intransigeant à l’égard des Palestiniens (il encourage la colonisation et tout ce qui peut miner le processus de paix), Lieberman l’est aussi envers les Arabes israéliens. Sa proposition « sans loyauté, pas de citoyenneté » les a désignés comme des ennemis de l’intérieur. Fasciste, Lieberman ? Il est raciste et populiste, en conviennent bien des sympathisants de Netanyahou.

« La Maison Likoud brûle », titrait le 28 octobre un article du Haaretz. L’alliance Bieberman pourrait ainsi faire fuir des membres du parti et surtout un grand nombre d’électeurs. Un sondage diffusé le soir même sur la chaîne télévisée 10 donnait toujours une avance confortable pour la grande coalition de droite. Mais Likoud Beitenou n’était plus crédité que de 35 sièges en raison d’un report des voix Likoud vers le nouveau parti du centre Iech Atid (« il y a un futur ») de Yair Lapid (13 sièges).

De fait, une question taraude les Israéliens depuis l’annonce surprise de jeudi dernier : que cherche Netanyahou ?

Un ticket pour Jérusalem ou Téhéran ?

L’Iran est bien sûr dans tous les esprits. Depuis le printemps dernier, Netanyahou n’a cessé d’agiter le spectre d’une attaque préventive contre les installations nucléaires iraniennes. L’opinion s’est même emballée à la fin de l’été face à l’imminence d’une guerre. Mais en septembre, Netanyahou refermait la fenêtre de tir en même temps qu’il présentait à la tribune de l’ONU un croquis sur la bombe iranienne. « Les lignes rouges ne conduisent pas à la guerre, les lignes rouges empêchent la guerre », proclama-t-il, en demandant de tout faire pour empêcher Téhéran d’achever la 2e étape de fabrication de sa bombe « au printemps prochain, au plus à l’été ». Dans l’attente de cette nouvelle échéance, Israël s’est impliqué comme jamais dans les élections américaines en soutenant le Républicain Mitt Romney.

Lieberman, récemment converti à une attaque contre l’Iran, doit-il servir de caution au va-t-en-guerre Netanyahou ? En tout cas, « il n’aura pas le portefeuille de la Défense », a assuré le 28 octobre un membre du gouvernement après que Tzipi Livni, l’ancien chef du parti Kadima, ait prévenu qu’elle considèrerait la nomination de Lieberman au ministère de la Défense comme « une menace existentielle pour Israël ».

Officiellement, l’objectif de Netanyahou serait ailleurs. Il s’agit en effet de résoudre la crise économique : c’est parce qu’il lui était impossible de réunir une majorité parlementaire sur le budget 2013 – un budget d’austérité, cela va sans dire – qu’il a appelé à des élections anticipées pour le mois de janvier.

Netanyahou veut-il prévenir une défection du parti Shas au cas où il procède à des restrictions dans le budget d’assistance aux ultra-orthodoxes ? Toutefois, même en faisant liste commune avec Lieberman, il devra compter sur les partis religieux pour composer un gouvernement. Souhaite-t-il couper l’herbe sous le pied à une future coalition « sociale » du centre-gauche ? Celle-ci n’est pas encore née et aucun leader ne semble assez charismatique pour le vaincre. A moins que l’ancien Premier ministre Ehud Olmert ne revienne en politique comme l’homme providentiel…

L’affaire Biberman serait donc une simple question de calcul électoral. Et là, une chose est sûre : c’est un domaine dans lequel Netanyahou est passé maître.

Netanyahou, le tacticien né

Le Premier ministre n’en est pas à son premier coup politique lors de ce mandat. Il avait déjà laissé planer l’hypothèse d’élections anticipées au printemps dernier, avant de se raviser et de prendre tout le monde de court en s’alliant avec le parti Kadima (« en avant »). Une manœuvre à court terme puisque leur union avait duré deux mois.

Mieux, il faut rappeler que Netanyahou a été porté au pouvoir sur un coup politique. En 1996, lors du vote qui associa pour la première fois l’élection de la Knesset avec celle du Premier ministre, il avait fait liste commune avec deux partis : Gesher (« pont ») et Tzomet (« jonction »). Or, si le premier représentait une branche dissidente du Likoud, le Tzomet de Rafoul Eytan était déjà un parti nationaliste et laïc.

Le contexte était difficile, en pleine vague d’attentats palestiniens et tout juste six mois après l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un juif nationaliste religieux.

La « liste du camp nationaliste » portée par Netanyahou n’obtint aucun siège supplémentaire à la Knesset. Une poignée de membres de Gesher et Tzomet quittèrent même la coalition. Mais contre toute attente, Netanyahou infligea un cinglant désaveu à son rival Shimon Peres et fut élu Premier ministre.

« Bibi » était né. Comment imaginer que revenu aux affaires, une décennie plus tard, il n’allait pas sortir un nouveau coup de son chapeau pour déstabiliser ses adversaires et se maintenir à tout prix au pouvoir?

(Photo de la Knesset, Jérusalem : Frédérique Schillo)

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