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VU D'ISRAEL

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Histoire et Prospective


Résilience : Comment les Israéliens surmontent la peur

Publié par Frédérique Schillo sur 17 Décembre 2016, 14:15pm

Catégories : #Articles

Des histoires de survivants, Israël en compte par milliers : survivants de la Shoah, anciens combattants des conflits israélo-arabes, otages ou prisonniers de guerre, vétérans des opérations du Liban et de la bande de Gaza, rescapés d’attentats. Une véritable nation de survivants, née dans la guerre, élevée dans la menace permanente.

Au danger, les Israéliens opposent un courage orgueilleux, parfois bravache, mais qui force l’admiration. Voici le célèbre cliché du Sabra, l’homme juif nouveau voulu par les Pères fondateurs de l’Etat, si fier, si dur. Et en réalité plus vulnérable qu’il n’y paraît. Selon les recherches sur les victimes de la guerre et du terrorisme, 10% de la population israélienne souffrent de syndrome post-traumatique, soit environ 750.000 personnes. Parmi elles, des blessés, des proches de victimes, des habitants de régions sensibles comme la ville de Sderot, en face de Gaza, où un habitant sur trois est touché par le stress post-traumatique.

Derrière ces chiffres, des destins brisés, de vies mouvementées. Sans compter toutes les personnes dont le trauma ne s’est pas encore déclaré, mais qui couve, prêt à exploser. « Quelquefois le choc survient des années après un attentat », explique la psychothérapeute Orly Bach. L’événement se rappelle subitement à vous, des images qu’on croyait oubliées vous hantent, chaque bruit inquiète et vous plonge dans un état d’anxiété, car si « l’esprit se souvient, le corps aussi ».

Un sombre tableau que le professeur Gabi Ben-Dor, du Centre d’études de sécurité nationale de l’Université de Haïfa, tient à nuancer. « On pourrait croire qu’on a affaire à un Etat en pleine dépression, stressé, découragé et pessimiste. Or ce que j’ai trouvé est totalement différent », a-t-il déclaré en présentant en mai dernier l’« index de résilience nationale » (lire notre encadré). Menée depuis seize ans, l’étude montre qu’Israël est un pays d’une extrême vitalité, où il fait bon vivre. Avec 78% d’optimistes déclarés, il bat même des records mondiaux.

« Ce qui rend les gens plus forts »

Israël aurait-il un secret pour la résilience, cette faculté de s’adapter au stress, de sortir d’un trauma ? A moins qu’elle ne soit inscrite dans l’ADN du peuple juif, dont l’un des plus importants rituels est le repas de Pessah (pâque juive) -acte de résilience par excellence- où l’on rappelle la destruction du Temple, l’Exode et l’esclavage, pour mieux célébrer ensuite la liberté et l’espoir : l’An prochain à Jérusalem !

« Mais même les survivants de la Shoah qui vivent en Israël sont plus optimistes, plus forts que ceux qui résident par exemple aux Etats-Unis », note le professeur Mooli Lahad. C’est lui qui, le premier, a développé le concept de résilience en Israël, où il a fondé en 1981 le Centre international de prévention du stress. Etabli à Kiryat Shmona, une petite ville à la frontière du Liban, le centre a essaimé dans tout le pays, puis à l’étranger, intervenant à New York après le 11 septembre, ou à Paris suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.

D’autres centres se sont ensuite développés. Ainsi le METIV, fondé en 1988 par le Dr Dany Brom, un psychologue clinicien arrivé des Pays-Bas. « Alors qu’Israël manifestait beaucoup d’intérêt pour la résilience -ce qui rend les gens plus forts ; autrement dit, la prévention-, le traitement du trauma y était étonnamment négligé », nous explique-t-il. Ses méthodes nées de l’observation du stress post-traumatique des vétérans de la Seconde Guerre mondiale s’appliquent aujourd’hui aux victimes d’attentats, mais aussi aux enfants de nouveaux immigrants, aux familles éthiopiennes ou encore aux Bédouins du Néguev. Toutes sortes de thérapies que mène également le NATAL, un établissement multidisciplinaire installé depuis 1998 dans l’ancien siège du ministère de la Défense à Tel-Aviv et qui vient surtout en aide aux soldats. Un centre s’y est récemment ouvert pour collecter des témoignages vidéo de soldats sur le modèle de la Fondation Spielberg pour l’étude de la Shoah.

Un modèle de résilience communautaire

Sans doute la résilience s’est-elle forgée en Israël dans la mémoire de ces traumatismes successifs. Eprouvée par la Shoah, puis par les guerres israélo-arabes, elle est un mélange entre le fatalisme nietzschéen -« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort »- et la conscience des faiblesses géostratégiques du pays. Dès 1948, David Ben Gourion expliquait : « Le peuple tout entier est l’armée, la terre entière constitue le front ».

Ce lien intime entre la nation et l’armée, avec le service militaire (trois ans pour les hommes, deux pour les femmes), puis les périodes de réserve (un mois par an jusqu’à l’âge de 40 ans), permet la mobilisation des citoyens et une grande réactivité face à la violence. De même, l’expérience des guerres et de deux intifadas impose d’être constamment à la pointe de la lutte antiterroriste pour anticiper la menace ou rebondir après un événement.

Mais ce qui différencie Israël de l’Europe réside aussi dans sa prise en charge des blessés et sa connaissance du phénomène traumatique. En plus des centres d’aide psychologique, de nombreuses associations assistent les victimes dans leurs démarches administratives. La célèbre Fondation Almagor, créée en 1986, est aussi connue pour son lobbying en faveur de l’interdiction de la libération de prisonniers palestiniens. De sorte que c’est l’apolitique Association des victimes du terrorisme qui a été choisie en 1998 comme seule représentative auprès des services sociaux. Elle a depuis diversifié ses activités et encourage l’entraide, une des clés de la résilience.

Mooli Lahad a ainsi identifié cinq facteurs dans un modèle de résilience communautaire : le leadership (la foi dans les institutions), l’efficacité du collectif (l’entraide), la préparation (de la famille, de la ville à des situations d’urgence), l’attachement à un endroit (l’identification) et la confiance sociale (la qualité des échanges). Mêlant considérations politiques, idéologiques et sociales, ses conclusions rejoignent celles de Gabriel Ben-Dor quant à l’importance du sentiment d’appartenance à une famille, une communauté, une nation, pour faire face à la peur.

Et si l’explication ultime pour expliquer ce phénomène étrange faisant d’Israël l’un des pays les moins sûrs, mais parmi les plus optimistes du monde, résidait dans l’attachement que ses habitants lui portent ? « Nous sommes plus vaccinés face à la violence. Nous voyons plus de choses dans une vie que d’autres personnes, c’est certain, mais cela n’explique pas tout », insiste Mooli Lahad. « Probablement que les gens qui vivent en Israël savent mieux que les autres pourquoi ils sont là et cela donne un sens à leur vie ».

Malgré la violence et l’angoissante incertitude d’où elle va surgir, en Israël, ce petit pays où presque tout le monde se connait -et connait une victime de la guerre ou du terrorisme-, la solidarité nationale, quasi familiale, l’emporte sur la peur. Comme le dit la célèbre chanson israélienne écrite par Ehoud Manor pendant la guerre du Liban : « Je n’ai pas d’autre pays, même si ma terre brûle ». 

Frédérique Schillo

Publié dans Regards en Septembre 2016

http://www.cclj.be/actu/israel/resilience-comment-israeliens-surmontent-peur 

 

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