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VU D'ISRAEL

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Histoire et Prospective


Israël-Syrie : Le chaos derrière la frontière

Publié par Frédérique Schillo sur 28 Novembre 2015, 12:53pm

Catégories : #Articles

Israël-Syrie : Le chaos derrière la frontière

Une Syrie avec ou sans Assad importe peu pour Israël ; l’essentiel est que les combats avec leur flot de réfugiés ne débordent pas la frontière. Seule la cause kurde pourrait l’amener à sortir de sa neutralité.

Vu d’Israël, la Syrie du clan Assad n’est pas enterrée. Mais elle est déjà condamnée depuis longtemps. Son sort a été scellé au début de l’été par le général Amos Gilad, conseiller stratégique du ministre israélien de la Défense, lors d’une conférence sur le Renseignement : « La Syrie est finie. La Syrie se meurt. Les funérailles seront organisées en temps voulu. On se souviendra de Bachar el-Assad dans les livres d’histoire comme celui qui a perdu la Syrie ». Une oraison froide et tranchante comme le scalpel du chirurgien sur le corps du condamné.

Bachar a en effet peu d’espérance de vie à la tête de la Syrie telle qu’on la connait. De son pays démembré, ensanglanté par plus de quatre ans de combats et la mort de 240.000 personnes, dont il a lui-même causé la perte, il contrôle à peine un cinquième du territoire. Ces derniers mois, il a encore reculé face aux Kurdes alliés de l’Occident dans le nord, aux djihadistes du front al-Nosra, branche d’al-Qaïda, et à Daesh dans le sud et le centre, tout en abandonnant parfois sciemment du terrain, comme à Palmyre, selon une stratégie morbide visant à faire réagir la communauté internationale.

Tout au plus Bachar finira-t-il ses jours comme « président de l’Alaouistan », avait suggéré le général Gilad, en référence à la petite bande côtière qui s’étend au nord du Liban de Tartous à Lattaquié, fief de son clan alaouite. Mais cette possibilité même a été réduite par l’offensive de Daesh. C’est ce qui a décidé Vladimir Poutine à intervenir mi-septembre en Syrie en envoyant des avions de combat, des chars et des troupes au sol. Le tout dans une opération dont le nom de code serait moins « Il faut sauver l’allié Bachar » qu’« Il faut sauver l’Alaouistan ».

En aidant Bachar, la Russie protège avant tout ses intérêts stratégiques, précisément autour de son aéroport de Lattaquié et à Tartous, seule base navale russe en Méditerranée. De la survie de l’enclave alaouite dépend donc sa propre influence au Moyen-Orient. Sans compter qu’en comblant le vide laissé par les Américains, la lutte contre les djihadistes syriens est un message fort envoyé aux islamistes du Caucase. Au-delà, la Russie entend recouvrer le rang qui était le sien sur la scène internationale avant la crise en Ukraine. L’accord nucléaire iranien rend possible le projet, impensable encore hier, d’une vaste coalition anti-Daesh allant de l’Iran chiite à son rival sunnite saoudien, en passant par un nouvel axe Le Caire-Damas-Riyad parrainé par Moscou. Reste à savoir si Poutine est prêt à lâcher la personne de Bachar contre un plan de paix. Selon l’ex-président finlandais Martti Ahtisaari, les Russes auraient proposé un plan sans Bachar en 2012, mais croyant sa chute proche, les Européens l’auraient refusé pour éviter de traiter avec Moscou.

La « guerre d’en face »

S'il inquiète en Occident, l’activisme de Poutine rassure plutôt en Israël. Certes, l’arrivée des chars russes ravive le traumatisme de la guerre de Kippour en 1973, quand Moscou soutenait Assad père, mais les Israéliens pensent que mieux vaut Poutine que le chaos. L’essentiel est de continuer d’agir comme ils l’ont fait depuis le début du conflit syrien. Ou plutôt de ne pas avoir à agir : la « guerre d’en face », comme l’appellent les communicants de Tsahal, doit rester bien cloisonnée, de l’autre côté de la frontière, derrière la barrière de sécurité érigée par Israël en 2013 sur le plateau du Golan.

Ce principe de non-intervention connait deux exceptions : les attaques venant de Syrie auxquelles Israël riposte systématiquement, et les dépôts et convois d’armes destinés au Hezbollah qu’il cible de manière préventive. En janvier dernier, un raid israélien a ainsi tué six terroristes du Hezbollah et un général iranien. Preuve s’il en fallait pour Netanyahou que « tous les chemins du terrorisme mènent à Téhéran ». Quand les Européens s’enferrent encore dans le dilemme « ni Assad ni Daesh », lui a tranché : c’est l’Iran le « premier Etat terroriste de notre époque » et il sera avec l’arme nucléaire « mille fois plus dangereux et plus destructeur que Daesh ».

La présence russe en Syrie ne doit pas encourager l’Iran à renforcer sa milice du Hezbollah, prévient Netanyahou. Une position qu’il est venu présenter directement à Poutine le 21 septembre, mettant en pratique une formule dont il est friand : « Si vous n’êtes pas à la table (des négociations) dans cette région… vous êtes au menu ». Peut-être a-t-il obtenu de Poutine qu’il renonce à déployer les missiles sol-air S300 dont il avait gelé la livraison à Bachar il y a deux ans. L’entrevue qui réunissait le chef d’état-major Gadi Eizenkot et celui du renseignement militaire Herzi Halevi a en tout cas permis de mettre en place un mécanisme pour éviter tout malentendu entre armées russe et israélienne. Pour le reste, Israël s’en tiendra à sa neutralité sur le conflit syrien. Du moins officiellement.

Car sur le terrain, la neutralité israélienne se heurte inévitablement au chaos syrien. Des blessés arrivent chaque nuit discrètement à la frontière avec l’espoir d’être secourus
par l’ennemi héréditaire. Rebelles ou loyalistes, ils sont en effet tous soignés dans les hôpitaux israéliens. Début septembre, au moment où éclatait la crise des réfugiés, le chef de l’opposition Isaac Herzog a exhorté le gouvernement à leur ouvrir aussi les portes. « Vous avez oublié ce que c’est d’être des Juifs, des réfugiés, des persécutés », a-t-il lancé au ministre Israël Katz qui l’invitait cyniquement à loger des migrants chez lui. La solution pourrait venir d’ailleurs.

Israël favorable aux Kurdes

A la question de savoir « Comment Israël peut aider le peuple syrien ? », Kamal al-Labwani, un membre de l’opposition syrienne, juge qu’« Israël n’a pas à ouvrir ses frontières pour recevoir des réfugiés syriens. Une telle démarche soulèverait l’opinion publique sur le sort des réfugiés palestiniens et leurs droits ». En revanche, écrit-il dans le think-tank israélien Mitvim, Israël aurait un rôle diplomatique à jouer pour trouver une sortie de guerre et améliorer l’aide humanitaire aux Syriens.

Cependant, l’accueil des blessés provoque déjà des tensions majeures. Le 22 juin, deux Syriens pris pour des rebelles ont été extraits d’une ambulance et lynchés par des Druzes israéliens. L’attaque a été menée en représailles au massacre de vingt de leurs coreligionnaires par al-Nosra dans le nord-ouest de la Syrie. Pour préserver cette minorité religieuse si loyale envers Israël -110.000 Druzes de Galilée servent dans Tsahal-, le ministre de la Défense Moshé Yaalon a annoncé que l’aide humanitaire se poursuivrait sans distinction, à condition de ne plus toucher aux Druzes de Syrie.

Le spectre d’un éclatement identitaire menace en Syrie, mais il n’inquiète pas Israël si, là encore, tout se passe derrière la frontière. Au contraire, Israël accueillerait
volontiers la formation de petits Etats non arabes, chiites ou alaouites, pour casser l’hégémonie sunnite au Moyen-Orient. Après la guerre des Six-Jours, le vice-Premier ministre Yigal Allon avait encouragé la naissance d’un micro-Etat druze, mais aussi d’un Etat kurde à cheval sur la Syrie et l’Irak. Israël, qui compte plus de 200.000 Juifs kurdes, a toujours entretenu une relation spéciale avec les Kurdes. C’est un Israélien, le général Tzuri Sagi, qui a créé l’armée de Pershmerga en 1966 et les a dirigés dans deux guerres contre l’Irak. Israël est aussi le premier client de l’actuel Kurdistan irakien, où il s’approvisionne en pétrole sans passer par le gouvernement de Bagdad. Ajouté à cela que les Kurdes sont des démocrates, laïques, de tout temps opprimés, Israël a de bonnes raisons de soutenir leur indépendance. Aujourd’hui encore, assure le général Sagi, « les Israéliens sont les seuls en qui ils ont confiance ». Dans un Moyen-Orient en pièces, où l’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami, la cause kurde est la seule qui mérite, aux yeux d’Israël, de sortir de sa neutralité.

Le réduit Alaouite La zone qui s’étend sur l’ensemble du littoral méditerranéen de la Syrie, de la frontière turque au nord à la frontière libanaise au sud, est considérée comme le fief des Alaouites, auxquels appartient Bachar el-Assad. Ce « réduit » alaouite possède les deux principaux ports syriens, Tartous et Lattaquié. La plaine littorale est dominée par le djebel Ansarieh, forteresse naturelle dont les Alaouites connaissent tous les détours. Pour survivre à la guerre civile, il reste à Bachar el-Assad la solution du repli dans le réduit alaouite et d'y attendre des jours meilleurs avec le soutien de l'Iran, de la Russie et du Hezbollah libanais.

Article publié dans Regards en Octobre 2015

http://www.cclj.be/actu/israel/israel-syrie-chaos-derriere-frontiere

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