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VU D'ISRAEL

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Histoire et Prospective


Ce que cache la nouvelle vague de terreur en Israël

Publié par Frédérique Schillo sur 10 Juin 2022, 09:47am

Catégories : #Articles

Depuis le 22 mars, Israël affronte une nouvelle vague sanglante d’attentats qui surprend par sa violence, le profil des assaillants et leur détermination à franchir la Ligne verte pour aller frapper au cœur de l’Etat juif.

C’était un jour de fête ; il s’est terminé dans un bain de sang. Au soir de Yom Haatzmahout, alors qu’Israël célébrait son 74e anniversaire dans la joie, trois Israéliens ont été tués à coups de hache et quatre autres blessés à Elad, une ville ultra-orthodoxe située non loin de la Ligne verte. Cet attentat, le sixième en deux mois, a été depuis suivi par d’autres attaques qui ne laissent plus planer le doute : Israël est la cible d’une nouvelle vague de terreur. Une vague qui peut en rappeler d’autres, notamment le cycle de violences en 2015-2016 ou la crise de mai 2021, mais possède surtout sa propre dynamique, que le gouvernement de Naftali Bennett se doit de briser.

L’ombre de Daesh ?

Cette nouvelle vague de terreur a éclaté avec les attentats de Beer-Shev’a (22 mars) et Hadera (27 mars) qui ont fait en tout six morts. Deux attaques particulièrement choquantes tant par leur mode opératoire (non plus de simples couteaux mais des fusils automatiques à Hadera), que par la personnalité de leurs auteurs : les trois terroristes étaient des Arabes israéliens se réclamant de Daesh. Le premier était un bédouin du Néguev du clan d’al-Qian, qui venait de purger quatre ans de prison pour avoir voulu partir combattre en Syrie. A Hadera, les terroristes étaient deux cousins, résidents d’Umm al-Fahm dans le Nord ; l’un d’eux avait aussi été incarcéré pour avoir tenté de rejoindre Daesh. Vêtus à la manière des combattants de l’Etat islamique, ils s’apprêtaient à commettre un méga-attentat munis d’un arsenal d’armes s’ils n’avaient croisé le chemin de mista’arvim (l’unité antiterroriste d’infiltrés rendue célèbre par la série Fauda) qui les ont neutralisés.

Daesh a aussitôt revendiqué les attaques. Fait rare, son porte-parole Abou Omar al-Mouhajir a appelé ses partisans à « s’armer et commettre de nouvelles attaques ». Entre temps, Israël a arrêté une quarantaine d’individus pour les placer en détention administrative pendant quatre mois, sans inculpation ni jugement donc, comme l’autorise une nouvelle ordonnance. Est-ce à dire que Daesh étend son emprise en Israël ? En réalité, il n’y a jamais vraiment pris pied : depuis sa fondation en 2006, moins d’une centaine d’Arabes israéliens lui ont prêté allégeance. Et si les assaillants de Beer-Shev’a et Hadera en étaient des sympathisants, le groupe ignorait tout de leurs sanglants projets. Il faut dire que l’Etat islamique se désintéressait jusqu’alors de la cause palestinienne, étant concentré sur son califat en Irak et en Syrie. En 2017 il a bien revendiqué une attaque à Jérusalem (la seule avant 2022), mais le Hamas et le FPLP avaient fait de même. Sa revendication de l’attentat de Hadera est tout autant opportuniste afin de saper – en vain – le Sommet historique du Néguev qui réunissait alors les représentants des Accords d’Abraham. Cependant, son attitude peut suggérer une réorientation stratégique, laquelle passe par une lutte d’influence avec les autres factions terroristes. Cela ressort bien du discours d’al-Mouhajir, où il fustige « les terroristes laïcs » du Fatah et du Djihad islamique, en ajoutant que « les politiciens musulmans modernes qui tentent de libérer Jérusalem ne sont que des pantins dans les mains d’Israël et de l’Occident. »

Al-Aqsa, éternel prétexte

Comme toujours, la « libération de Jérusalem » sert de puissant moteur au discours djihadiste tandis que les craintes d’attaques contre al-Aqsa mobilisent les foules. On se souvient de la « crise des portiques » en 2017 et d’une série d’incidents lors du Ramadan l’an dernier (évacuations à Sheikh Jarrah, défilé nationaliste prévu porte de Damas) qui avait électrisé le Hamas et mis la région à feu et à sang avec une opération à Gaza et des émeutes dans les villes mixtes israéliennes.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le gouvernement s’est bien gardé de toute provocation cette année, d’autant que la coïncidence des fêtes du Ramadan, de Pessah et Pâques risquait d’enflammer les esprits. Alors, certes, de nombreux Juifs ont été autorisés à monter sur le mont du Temple, sans y prier : 1.538 le 20 avril, un record. Mais la police a interdit leur venue pendant les 10 derniers jours du Ramadan, elle a restreint son usage des armes sur l’esplanade, interdit une marche aux drapeaux dans la Vieille Ville et n’a cessé de combattre les fake news sur les réseaux sociaux. 10.000 incitations à la haine ont été effacées pendant le seul mois d’avril. La police s’est aussi fendue 

d’un tweet contre les prétendues violations du statu quo : « rien n’a changé et rien ne changera dans la pratique qui existe depuis de nombreuses années sur le mont du Temple et les Lieux saints en général ». Las, des violences ont éclaté chaque vendredi matin avec de jeunes émeutiers du Hamas et du Djihad islamique. Mais même au plus fort des heurts, alors que d’autres attentats éclataient (le 7 avril au cœur de Tel-Aviv, le 30 à Ariel), Israël a autorisé les Palestiniens de Cisjordanie de plus de 40 ans à venir prier au Haram al-Sharif. Pour la fête de Laylat al-Qadr, ils étaient 200.000 fidèles.

Des cyber-terroristes solitaires

La situation a manqué de basculer fin avril quand Israël a essuyé deux salves de missiles lancés depuis la bande de Gaza, tous interceptés, ainsi qu’une roquette tirée du Liban qui a fini dans la mer. Tsahal y a répondu par des frappes à Gaza. On est loin de la démonstration de force du Hamas lors de l’Opération Gardien des Murailles il y a un an. De même, le Hamas a échoué à susciter des soulèvements de masse en Cisjordanie et dans les villes mixtes israéliennes. Ce n’est pas faute d’y inciter à la violence. Son chef Yahya Sinwar a appelé à « tuer des Juifs » : « Que celui qui a un fusil s’en serve. Et celui qui n’a pas de fusil, qu’il prenne un couteau de boucher, une hache ou tout objet tranchant ». Fait nouveau, Sinwar a émaillé son discours d’attaques contre le parti Raam et son leader, Mansour Abbas. « Nous ne devons rien à Yahya Sinwar », a répliqué Abbas, en renouvelant son soutien au gouvernement Bennett. En revanche, peu après, des terroristes venus de Jénine [voir encadré] partaient à Elad munis de haches. Pour l’opinion israélienne, cela suffit à faire de Sinwar le cerveau d’une nouvelle Intifada. Beaucoup, y compris au sein du gouvernement, réclament son élimination, voire une autre opération à Gaza. Deux décisions insensées, sauf à chercher l’escalade.

Car aucun groupe n’est vraiment à l’œuvre ici. Les assaillants agissent sans affiliation partisane, de façon improvisée. Les terroristes d’Elad ont été retrouvés après une chasse à l’homme de deux jours dans des buissons non loin de l’attentat, hagards et déshydratés. 

L’assaillant de Tel-Aviv a erré des heures avant d’être neutralisé sur un parking de Jaffa, où il se cachait entre deux voitures. Connu pour des escroqueries en ligne et du commerce de crypto-monnaie, son profil correspond bien à cette nouvelle génération de « cyber-terroristes » comme les qualifie le journaliste Alon Ben David de la chaîne 13 : de jeunes loups solitaires, non-militants, pas même religieux, qui s’auto-radicalisent en ligne et décident un jour de passer à l’action. Le renforcement de la surveillance technologique est la clé pour briser cette nouvelle vague de terreur, en plus des autres mesures de sécurité prises par Bennett pour arrêter les infiltrations (arrestations de 500 individus, raids sur Jénine, loi contre ceux qui conduisent, logent et emploient illégalement des Palestiniens, travaux pour boucler la barrière de Sécurité). Vingt ans après l’Intifada al-Aqsa, Israël n’affronte sans doute pas une nouvelle Intifada, mais il n’en a pas toujours pas fini avec le terrorisme.

 

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A Jénine, un concentré de violences

Longtemps, la ville a été estampillée capitale de l’Intifada, engrossant des dizaines de kamikazes jetés ensuite contre Israël. Passée sous contrôle des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne en coordination avec les Américains en 2008, elle s’est métamorphosée en un pôle de stabilité grâce à la présence des modérés du Fatah, d’une circulation libre dans cette région centrale du nord de la Samarie et d’une économie prospère reposant sur les Arabes israéliens venus de l’autre côté du mur. Si bien que Tsahal avait jugé suffisant d’y laisser un petit bataillon, qui menait rarement des incursions dans la ville ni même le camp de réfugiés voisin.

Las, 2019 a sonné la fin du miracle de Jénine. La faute à la pandémie, aux mesures de confinement et à la fermeture du checkpoint, qui ont mis 35% des commerces en faillite. Un crash économique doublé d’une crise sécuritaire quand Mahmoud Abbas a suspendu la coopération avec Israël suite au Deal du siècle de Trump. Finalement, l’annulation des élections par Abbas et l’escalade de mai 2021 ont achevé d’affaiblir l’Autorité palestinienne. Désormais sous influence du Hamas et du Djihad islamique, Jénine redevient le vivier terroriste qu’elle fut. Trois attentats majeurs en sont partis cette année : Tel-Aviv, Bnei Brak et Elad.

Israël y multiplie les raids pour débusquer les activistes et briser la nouvelle vague de terreur. Au risque de transformer Jénine en ville martyre de la cause palestinienne. Le tollé autour de la mort de la journaliste vedette d’Al-Jazeera, Shireen Abu-Akleh, tuée d’une balle à la tête lors d’un raid de Tsahal (sans que l’on puisse déterminer l’origine du tir, faute d’enquête impartiale) et, peut-être plus encore, l’outrage fait à son cercueil lors de funérailles monstres à Jérusalem, le 13 mai, laissent augurer du pire.

 

Frédérique Schillo,
@FredSchillo

Publié dans Regards N°1086

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