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VU D'ISRAEL

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Histoire et Prospective


Avec Léviathan, Israël se rêve en puissance méditerranéenne

Publié par Frédérique Schillo sur 20 Février 2020, 19:26pm

Catégories : #Articles

Un projet pharaonique, des retombées économiques à la pelle, une promesse de paix régionale : Israël espère devenir une puissance énergétique incontournable grâce au champ gazier Léviathan. Mais la Méditerranée est pavée d’écueils.

C’est un monstre marin qui devrait rapporter gros à son créateur. Le champ gazier Léviathan (de l’hébreu « baleine », rien à voir avec le « serpent fuyard » de la Bible), immense gisement de 605 milliards de m3 de gaz, à 130 km à l’ouest de Haïfa, est l’un des plus gros chantiers israéliens de ces dernières années. Sa production a officiellement commencé ce 2 janvier 2020 en direction de la Jordanie. Quelques jours plus tard, Israël commençait à exporter son gaz naturel vers l’Egypte, le « début de la plus importante coopération jamais conclue entre les deux pays depuis la signature du traité de paix en 1979 », s’est réjoui le ministre israélien de l’Energie Yuval Steinitz. Et un symbole fort du tournant énergétique en Méditerranée, quand on sait que le gazoduc utilisé jusqu’alors dans l’autre sens, d’El-Arish à Ashkelon, servait à l’Egypte à envoyer de l’énergie à Israël. Mais les Israéliens comptent bien séduire d’autres pays dans la région, ce qui ferait de Léviathan un formidable instrument stratégique au service de la paix.

Rapprocher les peuples

Dès le début, Israël a saisi toutes les opportunités diplomatiques offertes par le projet. Des négociations ont même été lancées avec le Liban, par l’intermédiaire des Américains, pour régler la question de leur frontière maritime dans une zone disputée située juste au nord du gisement gazier. Si elles ont échoué en 2012 du fait du Hezbollah, Beyrouth a repris il y a peu l’initiative de discussions pour fixer enfin une « ligne bleue » en mer, toujours via le vice-secrétariat d’Etat américain. Chacun mesure bien la nécessité de délimiter clairement les espaces dans le bassin levantin, où se trouvent 2% des ressources mondiales en gaz. Et chacun voudrait en retirer un maximum de bénéfices économiques.

Pour ces mêmes raisons, Israël a beaucoup misé sur un partenariat avec la Turquie. En 2014 encore, la société israélienne d’exploitation et de production gazière Delek, membre du consortium Léviathan avec l’Américain Noble Energy, présentait la Turquie comme une cible privilégiée avec l’Autorité palestinienne, la Jordanie et l’Egypte. L’intérêt de coopérer avec Ankara était aussi de pouvoir construire un oléoduc sous-marin d’environ 850 km de long vers les côtes turques, puis de faire acheminer le gaz vers l’Europe. Las, la crise latente avec Erdogan depuis la dernière guerre de Gaza ne laisse aux Israéliens que deux options pour exporter leur gaz à l’Ouest : utiliser les usines de liquéfaction de gaz en Egypte, puis le transporter dans des méthaniers en Europe, ou encore construire un pipeline vers un port de Méditerranée occidentale.

De fait, le plan avec les Egyptiens prévoit d’utiliser leurs terminaux de liquéfaction du gaz. Cela évite à Israël d’investir dans ce type d’installations coûteuses et à l’Egypte, qui vient de découvrir le méga-gisement offshore Zohr, de se présenter comme un « hub » régional dans le secteur de l’énergie. Selon les termes de leur accord, Israël doit fournir 85 milliards de m3 de gaz à l’Egypte sur une période de 10 ans pour un montant d’environ 17,5 milliards d’euros. Parallèlement, Israël a signé le 2 janvier à Athènes un accord avec Chypre et la Grèce sur EastMed, le nom du gazoduc long de 1.872 km pour acheminer du gaz vers l’Europe orientale. Et pour chapeauter le tout, le 14 janvier, Israël et six autres partenaires (Egypte, Jordanie, Autorité palestinienne, Chypre, Grèce et Italie) ont annoncé la création du Forum du gaz de la Méditerranée orientale, basé au Caire. Du jamais vu en matière de coopération économique dans la région.

Le consommateur israélien, grand perdant ?

Succès diplomatique, Léviathan doit aussi booster l’économie israélienne, à en croire Netanyahou qui, faisant fi des risques écologiques [voir encadré], en a fait un argument de campagne en vue des élections du 2 mars. « Nous avons réussi à exploiter du gaz, les tarifs descendront d’au moins 5% et nous gagnerons aussi des millions de shekels avec la mise en vente de notre gaz », a-t-il promis lors d’un meeting à Jérusalem fin janvier.

Jusqu’à présent, les Israéliens sont les derniers à en avoir profité. Seuls 15% du Léviathan est dédié au marché national, l’essentiel de sa production étant réservé à l’exportation vers la Jordanie et l’Egypte. En outre, depuis la découverte du gisement en 2010 et sa mise en concurrence avec l’autre plateforme offshore israélienne Tamar, les tarifs de l’électricité n’ont pas baissé. La faute à Delek et Noble Energy qui faussent les règles de la concurrence. Contraints de se séparer d’une partie de leurs avoirs après avoir été propriétaires des deux réserves, ils ont préféré Léviathan à Tamar pour d’évidentes raisons économiques et fiscales : Tamar, un plus petit gisement mis en exploitation il y a sept ans, va bientôt devoir payer des impôts alors que le géant Léviathan en sera exonéré jusqu’en 2025. En attendant, Delek et Noble Energy bloquent la signature d’un accord qui permettrait à Tamar de vendre moins cher son gaz à la compagnie nationale d’électricité.

Une chose est certaine pour le consommateur israélien : avec Léviathan, dont la quantité de gaz non découverte est le double de celle déjà connue dans l’ensemble des réserves israéliennes, son indépendance énergétique est assurée dans le futur. Mais, tempère le journal économique Globes, un brin cynique, « à mesure que le temps passe, il semble que le seul marché sur lequel il reste des acheteurs pour le gaz israélien se trouve ici, en Israël ».

Erdogan, trouble-fête

C’est dire que les belles célébrations d’aujourd’hui cachent des prévisions moroses pour la production de Léviathan. Le marché mondial du gaz naturel connaît une chute des cours sans précédent due à une offre spectaculaire. En Europe, les prix du gaz sont si bas qu’Israël ne peut espérer être compétitif. Luigi di Maio, le chef de la diplomatie italienne, vient de mettre en garde : le coût du pharaonique gazoduc EastMed « ne sera pas une option à moyen et long terme par rapport à d’autres projets ». Or, sans débouché extérieur, le projet israélien risque d’étouffer dans un marché régional trop restreint. La Jordanie et l’Egypte arrivent en effet à saturation, d’autant que cette dernière possède avec Zohr le plus gros gisement gazier de Méditerranée.

Sans compter les risques politiques. Le parlement jordanien a adopté une motion visant à interdire l’importation de gaz du Léviathan ; une mesure non contraignante qui révèle néanmoins les fortes tensions avec le voisin israélien. Au Liban, la reprise des négociations sur la frontière maritime attise les convoitises autant que les haines. La Turquie, enfin, hier si proche d’Israël, se révèle une rivale féroce, prête à lancer la guerre du gaz.

En novembre dernier, Erdogan a décidé de s’impliquer dans la guerre en Libye en signant un accord militaire avec le gouvernement de Fayez el-Sarraj qui, outre l’envoi de troupes turques face au maréchal Haftar (soutenu par l’axe égypto-émirato-saoudien), fixe leur frontière maritime au large de Chypre, dont Ankara contrôle la partie nord depuis 1974. Ainsi Erdogan fait-il valoir ses droits sur les ressources gazières de la zone. Le 16 janvier, il a annoncé commencer ses propres forages « dès que possible », rejetant les ultimatums de l’UE. Tout est mis en œuvre pour concurrencer, voire saboter la construction du gazoduc EastMed. Et briser les rêves de puissance d’Israël. A Jérusalem, on prépare la riposte avec les partenaires du Forum du gaz. Personne en Israël ne peut envisager que le géant économique Léviathan finisse par s’échouer comme une baleine en Méditerranée. 

 

                                                              Peur verte

Présenté comme une énergie respectueuse de l’environnement, moins risquée que
le nucléaire ou le charbon, certainement plus propre, moins polluante, permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et se combinant idéalement avec les énergies renouvelables (solaire, photovoltaïque), la production de gaz naturel du chantier Léviathan n’en inspire pas moins aux Israéliens une grande peur.

A tel point que lors de la mise en exploitation de la plateforme, début janvier, au moment où les responsables sablaient le champagne à Jérusalem, on assistait à des scènes de panique sur la côte avec des habitants cherchant à fuir à tout prix leur maison.

Car si le gisement Léviathan est à 130 km de Haïfa, sa plateforme de traitement se trouve, elle, à moins de 10 km du rivage. Une aberration pour les écologistes qui dénoncent un risque élevé de contamination des sources, de la côte et de l’air. Les autorités se veulent rassurantes, mais une étude menée par plusieurs scientifiques israéliens et des militants de l’organisation écolo Homeland Guards dénonce une « série de lacunes » dans l’évolution de l’impact environnemental.

 

Frédérique Schillo,
@FredSchillo

Publié dans Regards, n° 1058, février 2020 

https://www.cclj.be/actu/israel/avec-leviathan-israel-se-reve-en-puissance-mediterraneenne 

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